Le projet européen Erasmus + de mobilités des personnels : PRIDE, genres, identités, sexualités

Observatoire d'une classe d'aquivalent CP à la Turebergsskolan-Sollentuna

« What is good for one is good for all » ou la pédagogie critique des normes.

Le projet pilote de mobilités européennes des personnels « PRIDE – genre, identités, sexualités », porté par le bureau Erasmus+ de la DAREIC et l’Observatoire de prévention et de lutte contre les discriminations anti-LGBT+ du rectorat de l’académie de Paris s’est déployé au dernier trimestre de l’année 2022  à l’échelle académique avec un consortium d’établissements scolaires aux profils variés.
Réunissant une équipe inter-catégorielle de 14 personnels éducatifs de l’académie, la délégation, composée de chefs d'établissement, d’inspecteurs d’académie, d’enseignants de différentes disciplines, de CPE, de représentants de la DAREIC et de la chargée de mission de l’Observatoire, s’est rendue dans les villes de deux partenaires institutionnels académiques, Sollentuna School Authority ( Près de Stockholm, Suède) et la Consejeria de Educacion de Madrid ( Espagne), afin d’observer, outre le fonctionnement de systèmes éducatifs d’autres pays, les bonnes pratiques et les actions transposables (‘job shadowing’), approfondir la réflexion autour des questions d’identité de genre, de sexualités, de prévention des LGBTphobies et de critique des normes sociales de genre, et voir comment ces questions sont pilotées et abordées dans les établissements scolaires de ces pays.

Les systèmes scolaires observés dans les villes de Madrid et Sollentuna – le pilotage, le recrutement des enseignants, le temps de présence des enseignants sur site, l’organisation du temps scolaire, les programmes, le taux d’encadrement professeurs/élèves diffèrent fortement du système scolaire français.

A Sollentuna, Suède

Les deux établissements partenaires à Sollentuna sont des établissements aux profils très différents ; l’un est une cité scolaire comprenant du primaire et du secondaire - de 270 élèves située au cœur d’un quartier populaire, dont 96 % des élèves sont non Suédois issus de l’immigration récente et qui ne parlent pas suédois à la maison. Ce collège, Turebergsskolan, a développé des unités pédagogiques accueillant des élèves allophones arrivants, mais aussi des élèves en situation de handicap. Le projet d’établissement met l’accent sur la diversité et l’inclusion au sens large afin d’inculquer des valeurs de respect des différences, en travaillant sur le handicap, le racisme, le harcèlement, et la lutte contre les LGBTphobies. Il a notamment reçu la labellisation «  LGBTQI+ friendly », outil permettant de donner une meilleure lisibilité interne et externe aux actions engagées par l’établissement et montrant la détermination institutionnelle sur ces questions. L’autre établissement, le «  Sollentuna music classes ( SMK) est un établissement artistique spécialisé, sociologiquement très favorisé.

Trois traits saillants ont été identifiés par la délégation s’agissant de la lutte contre les LGBTphobies : la formation et l’expertise des équipes sur le sujet; l’âge et la manière de l’aborder dans les pratiques de classe et dans la communication interne et externe de l’établissement ; la manière de penser l’espace scolaire.

La formation des équipes :

Les équipes enseignantes à Sollentuna ont toutes été formées sur plusieurs années à la prévention des LGBTphobies et à l’accompagnement des élèves transgenres et en questionnement. C’est l’ensemble du corps éducatif de l’établissement, personnel de direction compris, qui a bénéficié d’une formation obligatoire et sur plusieurs années, dans le cadre de formations qui s’apparentent à des FIL ( Formations d’Initiative Locale) et qui sont impulsées par la Mairie de Sollentuna, qui fournit également des outils, des méthodes, des supports d’activité en tant que pilote des politiques éducatives et organisme rémunérateur des personnels éducatifs. Les équipes au sein des établissements visités produisent ensuite leur propre programme de prévention et de déconstruction des normes et contenus d’enseignement pour leurs élèves au sein de séances de réflexion dédiées et de partage d’expériences entre collègues où les ressources sont mutualisées. Il existe une véritable synergie entre les acteurs et actrices de l’établissement et une véritable dynamique d’équipe propice à la construction d’une politique de prévention et de déconstruction des normes menée sur l’ensemble des cycles. L’expertise sur ces questions est donc partagée par l’ensemble de la communauté éducative des établissements visités.

Les contenus d’enseignement :

La lutte contre les LGBTphobies est intégrée au cœur des pratiques de classes et des pratiques professionnelles, dans le cadre des enseignements disciplinaires et au sein des cours de valeurs éthiques, l’équivalent de l’EMC avec un volume horaire d’au moins une heure/semaine. Le sujet est abordé sur chaque cycle par plusieurs enseignants et ce dès l’âge de 6-7 ans (first grade).

Chaque cycle aborde les problématiques de manière appropriée en fonction de l’âge : la diversité des couleurs du drapeau arc-en-ciel et leur signification, la pluralité des modèles familiaux, les sentiments et les émotions dans les petites classes par exemple. L’éducation aux sexualités est abordée dès l’âge de 10 ans.

Rendre visible :

La construction de la visibilité de la diversité sexuelle et affective ou romantique et des identités de genre est un élément essentiel au sein des établissements visités, tant dans les contenus d’enseignement (diversification des représentations et des exemples choisis en classe, promotion de modèles alternatifs) que dans l’espace scolaire. A titre d’exemple, dans plusieurs classes de CP-CE1étaient accrochés aux murs des posters et un calendrier réalisé par la municipalité sur la diversité des familles et notamment la visibilité des familles homoparentales, qui participent de la diversification des modèles donnés à voir aux enfants. De même, le drapeau «  Rainbow flag » symbolisant la diversité, était présent et visible dans toutes les classes mais également dans le bureau des personnels de direction et dans certains couloirs, dans un esprit de normalisation.

Les usages de l’espace scolaire :

Dans les lycées visités, une attention particulière est portée aux usages de l’espace scolaire (espaces d’apprentissage scolaire, espaces récréatifs, équipements sportifs, espaces circulatoires…). Les cabines de toilettes par exemple donnent toutes directement accès sur les couloirs de circulation et sont toutes non genrées, permettant ainsi à toute personne, quelque soit son identité de genre, d’utiliser n’importe quelle cabine. De même les vestiaires ont des cabines individuelles pour se changer, ce qui facilite l’inclusion des élèves transgenres et non binaires par exemple. Les pratiques sportives à l’école ne séparent jamais sur le critère du genre et il n’existe donc pas d’équipes de filles et d’équipes de garçons. De même les barèmes d’évaluation ne sont pas genrées et d’autres critères sont utilisés pour évaluer les capacités et compétences  en éducation physique et sportive.

Les séances sont intégrées à un projet éducatif global qui est l’inclusion de tous et de toutes et le bien-être de chacun. Les enseignants font montre d’une véritable pédagogique critique des normes avec leurs élèves dès le plus jeune âge et prêtent une grande attention à leurs interactions en classe avec leurs élèves : dans la mesure où les enseignants et enseignantes sont formés à l’idée que  «  Everyone is in the place », il y a une grande adaptation verbale dans leur manière d’inter agir mais aussi dans la manière de penser les cours car tout élève ou tout collègue est susceptible de ne pas correspondre à un modèle dominant de représentation.

Dans cet esprit, l’adage de l’établissement appliqué concrètement à tous les domaines «  What is good for one is good for all » reflète bien la volonté institutionnelle de la mairie de Sollentuna d’inscrire la lutte contre les LGBTphobies et contre toutes les discriminations ( le racisme, le sexisme, le handicap) au cœur de la réflexion pédagogique partant du principe que, concernant la lutte contre les LGBTphobies spécifiquement, la déconstruction des stéréotypes de genre et de sexualités profitent à tous et toutes.

A Madrid, Espagne

L’établissement visité est le lycée San Isidro, lycée favorisé du centre-ville de Madrid, qui propose notamment des sections internationales et des sections européennes.

Lors de cette mobilité, les expériences les plus significatives qui nous ont été données d’observer relèvent d’une part des dispositifs spécifiques mis en place pour l’accueil et l’accompagnement des élèves transgenres et/ou en questionnement, la constitution d’une équipe inter-catégorielle de médiation, la constitution d’un groupe de personnels éducatifs formés aux questions LGBT+ et le travail collaboratif avec les parents sur les questions de genre et d’orientation sexuelle et affective.

Accueil et accompagnement des élèves transgenres :

Dans cet établissement, un véritable protocole d’accompagnement des élèves transgenres a été mis en place afin de les prendre en charge et de répondre à leurs besoins spécifiques. Une grande attention est laissée au cheminement personnel de l’enfant qui doit se sentir libre de participer s’il le désire à des entretiens individuels menés en concertation avec des psychologues formés sur ces questions, avec ou sans les parents.

Une équipe «  Égalité » :

De même un groupe «  Égalité genres, identités, sexualités » constitué de personnels éducatifs volontaires au sein de l’établissement a été constitué afin de mieux prendre en charge les questions en lien avec l’identité de genre et les orientations sexuelles et affectives des élèves. Il s’agit notamment d’accompagner les élèves dans leurs initiatives et projets, notamment le 17 mai, et de mener une politique de prévention des LGBTphobies à l’échelle de l’établissement. Ces personnels – enseignants, «  orientateurs », personnels de direction- ont reçu une formation longue et sont identifiés par les élèves de l’établissement.

La résolution de conflits par les «  pairs » :

La médiation «  par les pairs » est également un axe développé pour améliorer le climat scolaire. Dans le cadre d’une formation inter-catégorielle, une équipe composée à la fois d’enseignants et d’élèves volontaires de l’établissement reçoit sur site une formation longue sur deux ans. Leur mission principale est la prise en charge des problèmes et conflits en lien notamment avec les discriminations (dont les discriminations anti-LGBT+) et celle-ci est inscrite formellement dans leurs emplois du temps puisque les élèves référents bénéficient de plages horaires spécifiques et dédiées pour cette mission. Ils et elles peuvent également avoir à quitter la classe si leur présence en tant que médiateurs est requise. Une boîte de médiation destinée à recevoir les formulaires des élèves est à cet effet installée et le courrier est régulièrement dépouillé et traité par les professeurs de « l’équipe médiation ».

Les pratiques de classe et la mise en œuvre des programmes : 

Le volume horaire dévolu à l’EMC ( cours de "valores Eticos", valeurs éthiques) est conséquent et les élèves travaillent chaque semaine des thèmes relevant de la citoyenneté et de la culture de l’engagement.

La question LGBT+ est intégrée dans plusieurs enseignements et il a été loisible à la délégation d’assister par exemple  à un projet intitulé « sexualités, art et diversité » mené par la professeure d’arts plastiques qui utilise l’art comme médiateur pour aborder les questions LGBT+, en partenariat avec des partenaires de proximité comme le centre de santé et des partenaires institutionnels comme le musée du Prado qui propose des parcours sur la diversité des sexualités.  L’objectif était de mettre en images puis en mots par l’intermédiaire d’un art thérapeute, la représentation de la sexualité des adolescents, en leur faisant peindre une fresque collaborative. Pour les élèves, il s’agit de s’affranchir ainsi des normes de genre et de sexualité par les émotions et de prendre conscience de la diversité des corps et des relations pour apprendre à se connaître et à s’accepter.

En conclusion, à Stockholm comme à Madrid, les dispositifs et initiatives observées témoignent dans les deux pays du traitement précoce des questions LGBT+ dès l’école primaire, d’un traitement spécifique et explicite de ces questions, de la formation longue des équipes – éducatives, pédagogiques, médico-sociales- qui travaillent en synergie sur ces questions au sein des établissements. Une grande attention est par ailleurs attribuée au développement des compétences psycho-sociales et à la déconstruction des normes en général.