Rendez-vous "Faire classe dehors à Paris" #2

Le 11 mars 2021, nous accueillons Crystèle Ferjou, pionnière de "l'Ecole du dehors" en France et Moïna Fauchier-Delavigne, journaliste et consultante plaidant pour l'enseignement dans la nature.

Aujourd’hui conseillère pédagogique départementale des Deux-Sèvres, Crystèle Ferjou accompagne les pratiques régulières de classe dehors. Engagée également dans le monde associatif, elle propose des formations via le réseau GRAINE Poitou Charentes, dédié à l’éducation à l’environnement, et participe à la recherche-action participative nationale « Grandir avec la nature » . Elle a récemment publié l'ouvrage Emmenez les enfants dehors ! avec Moïna Fauchier-Delavigne, consultante et auteure de nombreux écrits sur la pédagogie par la nature et les écoles en forêt.

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Crystèle Ferjou                                              Moïna Fauchier-Delavigne        

Ateliers photos : “Dans cet espace, je peux, j’ai envie de faire, avec mes élèves…”

Pour amorcer la réflexion, les participants sont répartis de façon aléatoire dans différents ateliers-photos.
Chaque photo illustre un lieu où il serait possible d’enseigner dehors :
1- une cour de récréation ;
2- une partie des Buttes-Chaumont ;
3- le square Rébeval (19e)
4- le square Hérold (19e) comprenant un jardin partagé.
Les propositions des participants sont nombreuses et varient logiquement selon le lieu illustré par la photo. Les intervenantes en reprendront certaines. A commencer par Moïna qui insiste sur la nécessité de rendre accessible les espaces végétalisés, souvent entourés de grillages ou de murets. 
En savoir plus : voir le compte-rendu contributif détaillé

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Ancrage historique de la classe dehors et mise en pratique

Origine de la classe dehors

Dès les années 1920 en Europe, en Allemagne et en France, on parle d’écoles en plein air. Ces premières écoles en plein air ont été ouvertes pour faire face à la pandémie de la tuberculose. Mais la pratique de la classe reste cependant assez conventionnelle. Les enfants sont assis sur des chaises, derrière des tables. La classe dehors s’inspire beaucoup plus des écoles forestières qui se sont développées dans les années 50 en Europe du nord. Elle est aussi en lien avec l’éducation nouvelle et les classes de mer, les classes vertes.
En 2005, émerge un nouveau concept : le syndrome de manque de nature. Identifié notamment par Richard Louv [1], auteur américain dont le livre intitulé Last Child in the woods : saving our children from nature-deficit disorder (Le dernier enfant dans les bois : sauvons nos enfants du syndrome de manque de nature) n’a été traduit en France que l’an dernier. On prend alors conscience que les enfants accueillis dans nos écoles sont de plus en plus éloignés de la nature alors qu’on sait que cette nature est indispensable à leur développement.

Faire classe dehors en France aujourd'hui : de quoi parle-t-on ?

Faire classe dehors ne consiste donc pas simplement à sortir des tables et des chaises. C’est aussi savoir s’en passer. Envisager une éducation en mouvement et en marchant. Prendre en compte l’individu dans sa globalité, la tête et le corps ne sont pas séparés.
En observant les photos présentées dans les ateliers, des activités où les enfants vont être en mouvement ont été imaginées. Mais il s’agit aussi de mettre à leur disposition un espace de nature complexe qui leur permettra d’entrer en contact direct avec les éléments. Dans chacun des lieux représentés sur les photos, on peut déjà favoriser le toucher. Toucher les troncs d’arbres, l’écorce…
Il est très important d’identifier en amont un lieu qui permet le contact avec la nature et où il sera possible de faire classe dehors régulièrement. La régularité des séances dehors permet aux enfants de s’approprier le milieu.
La classe dehors est une pratique réfléchie, organisée et pratiquée dans la régularité. Une démarche d’éducation globale dans laquelle on peut développer toutes les compétences du programme. Et aussi le jeu libre comme il a été évoqué dans l’atelier photo du parc des Buttes Chaumont.

Le Jeu libre

En maternelle, depuis les programmes de 2015, l’accent est mis sur l’importance d’apprendre en jouant, ce qui est moins reconnu en élémentaire. Les temps de jeu libres sont d’autant plus nécessaires qu’il y a une diminution de la mobilité autonome des enfants qui ont un emploi du temps très cadré, à l’école comme à la maison. Entre leurs activités culturelles, sportives ou scolaires, ils ont peu l’occasion de jouer librement et encore moins de jouer librement dehors. Le jeu libre a particulièrement été décrit par Peter Gray dans son ouvrage intitulé Libre pour apprendre » [2]. Il en souligne la nécessité pour le développement et l’épanouissement physiques et psychologiques de l’enfant et insiste sur sa spontanéité. Il n’est pas organisé par l’adulte. L’enfant décide quand et où il joue. L’action est génératrice de nouveauté. Elle va lui permettre de s’organiser socialement, de s’inventer ses premières règles de jeu.
D’autre part, le jeu libre modifie profondément la posture de l’enseignant.
En observant nos élèves en activité libre, nous percevons mieux leurs besoins et identifions de nouvelles compétences. Ces observations permettent de mieux comprendre leur façon d’interagir entre eux et avec le milieu, de formaliser des situations d’apprentissage à partir des éléments de jeu. Il faut faire confiance aux élèves, se montrer aussi curieux qu’eux. Développer leurs capacités d’adaptation et les nôtres, parce que nature est pleine d’imprévus. Notre posture varie également en fonction de la façon dont on se sent dans un milieu.
Notre rôle est aussi de veiller à la sécurité, sans être surprotecteur. On peut avoir tendance à se substituer à l’enfant pour l’aider. Mais mieux vaut le laisser cheminer par lui-même avant d’intervenir, être à l’écoute et accompagner les questionnements pour pouvoir ensuite rebondir en classe et faire émerger des projets. Le jeu libre laisse beaucoup de place à l’autonomie de l’enfant. Cela ne veut pas dire laisser tout faire. Pour veiller à la sécurité il faut poser un cadre avec des règles.
Lorsqu’ils nous voient les observer, les enfants prennent conscience qu’on prend leur jeu au sérieux.
Ce n’est pas un temps de récréation. On est sur du temps plus long.

Échanges avec les participants

La classe dehors n’est pas nécessairement un atelier de découverte de la nature. Il n’est pas nécessaire d’avoir des connaissances naturalistes poussées. Mais faire classe dehors va interroger notre propre rapport à la nature. Il faut a minima se sentir soi-même bien dehors, sans nécessairement. Notre rapport avec notre groupe classe change. On apprend avec les enfants, on va chercher avec eux les réponses. Des partenaires tels le Graine Ile de France, peuvent nous aider sur ces questions.
Il est utile de s’outiller quand on fait classe dehors. Un outil incontournable : le carnet de bord. A l’inverse du cahier-journal, il est rempli après la séance de classe dehors. On y consigne les activités et évènements prégnants sur cette 1/2 journée mais aussi la date, la météo du jour. Il est important de le reprendre et d’en faire un carnet élaboré. En maternelle, on croise ce qu’on a noté avec l’ATSEM et les adultes accompagnateurs pour croiser les regards. Cela nous aide à avoir un suivi précis des élèves, notamment sur les domaines d’apprentissages.
Les élèves difficiles se révèlent souvent différents dehors. Certains prennent de l’assurance, progressent tout-à-coup au niveau du comportement, du langage, de la communication … La classe dehors est une pratique qui rend l’école vraiment inclusive.
Elle permet d’accueillir autrement les parents qui voient leurs enfants s’épanouir et ont moins de réticence à accompagner les sorties, même s’ils sont très éloignés du milieu scolaire.

Crystèle conclut en disant que la classe dehors incite aussi à repenser la façon de faire classe entre les murs.

Mais une dernière question reste ouverte : l’accès à des lieux de nature en ville, plus riches que les cours de récréation goudronnées. C’est important pour toutes les écoles, que tous les enfants puissent aller dans des espaces riches et complexes.
La question des autorisations de sortie demeure cruciale. Les sorties, même dans des lieux ouverts, sont aujourd'hui autorisées. Certains lieux publics sont en revanche à éviter (gares, lieux touristiques…) et les concentrations d’élèves sont à proscrire (ne pas sortir à plus d’une classe). C’est au directeur que revient la responsabilité d’autoriser la sortie. Un projet formalisé de façon détaillée, soumis au directeur, à l’IEN de cirsonscription, intégré au projet d’école, présenté aux autres enseignants et exposé aux parents en réunion de rentrée est un atout. On peut penser que la réflexion, la formalisation et le partage du projet avec l’équipe éducative élargie représente un véritable levier pour aider à lever les freins et se lancer.

Références partagées

[1] Louv Richard , Fifils Muriel (contributions), Chrétien Nathalie (traduction), Une enfance en liberté. Protégeons nos enfants du syndrome de manque de nature, Éditions Leduc Pratique, 2020.
[2] Gray Peter , psychologue du développement et directeur de recherches au Boston College, auteur de Libre pour apprendre, Domaine du possible, 2016.

Ferjou Crystèle, Fauchier-Delavigne Moïna, Emmenez les enfants dehors ! Comment la nature est essentielle au développement de l'enfant, Robert Laffont, 2020.
Fauchier-Delavigne Moïna, Chéreau Matthieu, L'enfant dans la nature, Fayard, 2019. 
Apprenons dehors. Propositions du groupe départemental Classe dehors 79
Il était un jardin, film documentaire suivant la pratique de la classe dehors par Crystèle Ferjou dans la petite section maternelle de Pompaire (79), réalisé par Pierre-Yves Le Du (IFFCAM, 2013).

Voir également : Le padlet des ressources du groupe "Faire classe dehors à Paris"

Captation

Retrouver ici l'extrait de la captation vidéo de l'intervention de Crystèle Ferjou et Moïna Fauchier-Delavigne.
Des perturbations sur les bandes passantes ont pu affecter la qualité de la captation, nous en sommes désolés.

Mise à jour : avril 2022